Positionnement sur vélo & la pilule magique

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En 2010, à Montréal, il n’y avait que quelques endroits pour se faire positionner sur un vélo. Aujourd’hui, on peut compter des dizaines d’endroits, dont des cliniques de physiothérapie, des professionnels à leur compte, ainsi que des boutiques de vélo spécialisées. Même encore, certains endroits ne peuvent garantir un rendez-vous qu’avant plusieurs semaines. Un peu normal, compte tenu du “boom” de nouveaux adeptes.

À travers ces prochaines lignes, je vous présente un guide vous aidant à mieux comprendre et démystifier les liens qui unissent votre corps, votre vélo, vos habitudes de vie, ainsi que les services de “fitting / positionnement” … Bonne lecture!

Contexte et prémisses

L’humain évolue depuis des milliers d’années de sorte à se mouvoir sur deux pieds, ainsi qu’en extension complète. Notre corps est apte à marcher et courir longtemps, à vitesse modérée (on peut remercier nos glandes sudoripares et nos fessiers, entre autres)… ce n’est pas pour rien qu’un chat domestique souffrant d’embonpoint se déplace plus vite sur 100m que le détenteur du record chez notre espèce. Ces aptitudes faisant de nous des animaux très endurants sont transférables dans un ensemble de disciplines sportives (nage, vélo, ski de fond, etc).

Au même titre que nous ne sommes pas faits pour être assis sur une chaise, en position statique, 50 heures par semaine, notre niveau d’aisance à l’être sur une selle de vélo est tout aussi faible. Rassurez-vous, le corps humain est un excellent compensateur. Cette qualité, combinée au fait que le vélo est un sport comportant de faibles risques de blessures, outres les chutes, font en sorte que tous peuvent y adhérer. Toutefois, notre capacité individuelle à adopter une position digne de celle d’un cycliste élite (potence “slammé”, dos plat, coudes fléchis, grande flexion du bassin et ce, de manière prolongée) dépend de :

  • Votre génétique

    • Asymétries corporelles (Ex : pieds plats, lordose, scoliose, genu valgum, genu varum, disparité de longueur de jambes, entre autres)

    • Physionomie et aptitudes physiques (dans le contexte d’amélioration et plafond de “performance” à vélo)

  • Vos antécédents sportifs

    • Cycliste néophyte, mais sédentaire et n’ayant pas “bougé” depuis 15-20 ans…

    • Cycliste néophyte, mais adepte d’une variété de sports, et ce, tout au long de sa vie

  • Contexte de vie et profession

    • Cycliste de longue date, mais travail de bureau + sédentaire en dehors du vélo

    • Cycliste de longue date, mais travail non-sédentaire + actif en dehors du vélo

  • Routine et hygiène de vie

    • Cycliste de longue date, consacrant ZÉRO minute sur son corps, en dehors de la pratique du vélo

    • Cycliste de longue date, intégrant des routines préventives et d’autotraitement sur une base hebdomadaire

      • Renforcement musculaire + mobilité (yoga, pilates, exercices adaptés aux asymétries de l’individu)

      • Traitements axés sur la prévention + récupération (auto-massage, foam roller, etc.)

      • Traitements nécessitant une aide externe (masso, physio, chiro, ostéo, etc.)

Pour mettre les choses en perspectives, votre capacité individuelle à adopter une position à la fois confortable et “performante” dépend d’une multitude de variables. Comme la grande majorité des pratiquants en cyclisme ne s’alignent pas sur ces principes, de par le manque de chance, de temps ou simplement d’intérêts, il est contre-productif d’essayer de reproduire la position adoptée par un cycliste de niveau élite. C’est pourquoi nous devons adapter l’utilisation que l’on fait du vélo à celui de la mécanique humaine, dans un contexte individuel, et non l’inverse.

En d’autres mots, si tu te présentes chez le meilleur planificateur financier du Québec, avec un actif de 5000$ et un passif de 20000$, il va devoir travailler avec “Ça”…. et on s’entend que même s’il est “sua coche”, il sera limité par ta réalité financière précaire. Au même titre que si tu te présentes chez un “bike fitter” très qualifié, et ce, avec des restrictions physiques étroitement liées à tes habitudes de vie (manque de mobilité aux hanches, par exemple), lui aussi, il va devoir travailler avec “Ça”… Un fitting est là pour optimiser ce que ton corps te permet d’atteindre. Bref, Il sera limité par ce dernier, au même titre que ton hygiène buccale ne dépend pas de la job de l’hygiéniste dentaire, mais de tes 1095 brossages de dents annuels!

Maintenant que tu comprends mieux les limites de l’aide externe, ainsi que la part de responsabilité qui te revient, considère le professionnel qui te “fit” sur un vélo comme une personne qui va t’aider à identifier tes forces, tes faiblesses, tes asymétries, ainsi que les pistes de solutions pour optimiser ta pratique, à long terme… et non comme la pilule magique à tous tes problèmes!

Étapes initiales du positionnement

Pour la majorité des cyclistes, une position “optimale” est celle qui peut être maintenu de manière confortable, et ce, sans égard à la durée. Lors de votre prochaine sortie, remarquez si l’un ou plusieurs des points ci-bas sont présents :

  • La tendance à déplacer les mains vers vous, en positionnant celles-ci à quelques centimètres derrière les cocottes (qui vous donnent accès aux vitesses & freins)?

  • L’impression que votre guidon est toujours trop loin et qu’il est plus confortable de placer vos mains sur le top (centre du guidon)?

  • La sensation de glisser vers l’avant ou l’arrière de votre selle?

  • Plus de poids sur un ischion (fessier) que l’autre?

  • Une pression excessive sur vos paumes de mains ou votre périnée, causant un inconfort, voir un engourdissement progressif?

Si vous avez répondu oui à un ou plusieurs de ces points, c’est qu’il est grandement temps de revoir la position sur votre vélo, en faisant appel à un ou plusieurs professionnels du domaine. S’il y a présence d’inconfort s’apparentant à une blessure / tendinopathie, la première étape est celle de consulter en physiothérapie ou médecine sportive, afin d’obtenir un diagnostic sur votre condition. De la sorte, le professionnel en charge de votre positionnement sera mieux orienté sur vos besoins et limitations.

La majorité du temps, afin d’adapter le vélo à votre physionomie et besoins actuels, certaines pièces doivent être ajustées, modifiées, voir remplacées complètement. Entre autres :

  • La potence

    • (allant de 60-130+mm de longueur, par incrément de 5mm, et l’inclinaison de 0-45 degrés), offrant la capacité de modifier la portée et hauteur du “cockpit”.

      • Selon la capacité de “reach” du cycliste + géométrie du vélo + préférences personnelles

  • Le guidon

    • (allant de 34-46cm + différentes formes de guidon, offrant la capacité de modifier la portée et hauteur du “cockpit”)

      • Selon la largeur des épaules du cycliste + préférences personnelles

  • Le type de cales + clips

    • (offrant un degré de rotation interne / externe + “float”, selon leur position et type)

      • Selon la rotation int./ext. chez le cycliste (IMPORTANT)

  • La tige de selle

    • (offrant la possibilité d’avoir, ou non, un recul de selle possible (0-35mm de “setback”, ainsi qu’une inclinaison (saddle tilt))

      • Selon la longueur des fémurs de l’individu et la géométrie du vélo

  • Les chaussures + semelle

    • (Longueur, largeur et type d’arche)

      • Aucun point de pression, aucun engourdissement, “hot spot”, etc.

  • La selle

    • (Largeur, longueur, forme, avec ou sans “cutout”, etc.)

      • Appréciation subjective, selon la physionomie du cycliste.

  • La longueur des manivelles du pédalier

    • (Généralement entre 165-175mm, sauf pour les cas extrêmes et besoins spécifiques)

      • Selon la grandeur de l’individu, longueurs des segments et préférence subjective

  • L’espacement entre les deux pieds (Q-Factor)

    • (Déterminé par la géométrie du cadre, le pédalier, les axes de pédales et “spacers”)

      • Selon la physionomie du cycliste (largeur du bassin & position des pieds)

  • Le vélo… au complet… (Oui, il est parfois moins risqué et plus simple de trouver une monture correspondant mieux à sa physionomie que de “bricoler” une position dans la limite du raisonnable)

Positionnement et performance

En prenant pour acquis que les variables du confort et de la gestion des blessures se trouvent à la base de la pyramide des besoins du cycliste, il est tout de même possible de s’attarder à celles en lien à la performance. Au risque de me répéter, un cycliste confortable est un cycliste performant, comme celui-ci sera en mesure de maintenir une position optimale, de manière prolongée, et ce, peu importe l’intensité! Des variables qui affectent la performance, il y en a plusieurs et elles doivent toutes être prises dans le contexte des besoins individuels… en voici quelques-unes :

  • La position du bassin et des genoux par rapport aux axes de pédales

    • Une position reculée recrute davantage la chaîne postérieure (ischios + fessiers)

      • En théorie, offre un meilleur “contrôle du vélo”, ainsi qu’un recrutement musculaire plus complet à travers les phases de 12-3 heures

    • Une position avancée recrute davantage la chaîne antérieure (quadriceps)

      • En théorie, être “au-dessus des pédales” offre pour beaucoup la possibilité d’optimiser leur CdA (coefficient of drag), dans le but de faire une économie d’énergie.

  • La position des cales

    • Une cale positionnée vers l’avant du pied recrute davantage les mollets

      • Permet un recrutement musculaire, ainsi que des accélérations plus rapides

    • Une cale positionnée vers le centre du pied offre un moins grand engagement des mollets, mais une meilleure stabilité aux chevilles

      • Permet une poussée plus “stable”, pour les cyclistes nécessitant celle-ci

  • La hauteur & portée du “cockpit”

    • Sur papier, en vélo de route et sur le plat, la position la plus aérodynamique est celle des mains sur les cocottes, coudes fléchis à 90 degrés, tête abaissée + avancée et épaules rétractées (d’où l’expression “riding turtle”).

      • Pour obtenir cette position, on veut un cockpit (potence + guidon) ayant la bonne hauteur + distance et ce, afin de combiner les variables de “durée prolongée” et position aérodynamique.

  • Le “saddle tilt”

    • Une selle orientée vers le bas (nose down) amène chez certains :

      • La capacité de basculer le bassin vers l’avant (antéversion), permettant de diminuer la pression sur le périnée

      • Un recrutement musculaire venant davantage de la chaîne postérieure (Ischios + fessiers)

      • Davantage de pression sur les mains, comme l’appui du bassin est moindre, ainsi qu’une sensation de glisser vers l’avant lorsque la pression sur les pédales est faible (aspects négatifs)

    • Une selle neutre ou orientée vers le haut (nose up) amène chez certains :

      • La capacité de mieux ancrer le bassin et donc, optimiser l’engagement musculaire

      • diminuer la pression sur les membres supérieurs (mains, épaules, triceps, etc.)

      • Davantage de pression sur le périnée + ischions, comme l’appui du bassin est supérieure

Sachez qu’une position “optimale” peut différer d’un cycliste à un autre. N’essayez pas de reproduire ce qui fonctionne pour l’un, basé sur des critères de performances “théoriques”. Vous n’avez qu’à regarder un échantillon de 20 cyclistes élites pour comprendre cette disparité, que ce soit sur un vélo de contre-la-montre ou de route.

Il n’y a pas de recette magique ici… l’objectif est de prendre en compte les variables du recrutement musculaire, du confort, de l’aérodynamisme, ainsi que de l’économie d’énergie, et ce, afin de trouver la combinaison la plus rapide pour une situation donnée. Mon exemple personnel sur un effort maximal de 20 minutes, sur le CGV :

  • Vélo de route (non aéro) : 287w @40.5 km/h

  • Vélo de contre-la-montre : 262w @43.5 km/h

Ici, bien que la différence s’explique en partie par le matériel, le gros du différentiel s’explique par la position du corps sur le vélo. À noter que dans les deux cas, j’ai donné mon 100%. La puissance plus faible sur le vélo de TT s’explique par le recrutement musculaire absolu plus faible. Rappelez-vous qu’aucune course de vélo n’a été gagné par celui/celle ayant produit la plus grande puissance, mais bien par celui/celle ayant franchi la ligne d’arrivée avec la vitesse moyenne la plus élevée.

Les limites du positionnement et la responsabilité individuelle

À moins de faire partie des cyclistes qui ont ajusté leur selle “au pif”, et qui, deux saisons plus tard, se demandent pourquoi ils sont encore inconfortables, tu es probablement passé par le processus d’essais-erreurs, à plus d’une reprise. Comprendre comment son propre corps fonctionne et répond aux micro-ajustements est une compétence qui se développe à travers la pratique et est aussi importante que l’aide externe! Savoir reconnaître ses faiblesses et problématiques en départageant celles qui sont “traitables à court terme” de celles que nous devont garder sous contrôle pour le reste de notre vie, est aussi une compétence athlétique.

Une étude intitulée “Overuse injuries in professional road cyclists” s’est penchée sur le cas de 116 cyclistes professionnels, dont 109 (94% d’entre eux), ayant eu à faire face à une ou plusieurs blessures d’usure, au cours des 12 derniers mois. On peut penser à des cas comme :

  • Eddy Merckx, qui dans ses dernières années de coureur, devait constamment ajuster sa selle, de sorte à soulager des douleurs lombaires.

  • Thibaut Pinot, aux prises avec des douleurs lombaires, a du abandonner et renoncer à la compétition, à plus d’une reprise.

  • Egan Bernal, lui aussi, doit jongler avec des douleurs récurrentes au dos, mais sous contrôle.

  • Philippe Gilbert, qui doit manoeuvrer autour d’une réhabilitation au genou, suite à un accident.

Une chose est certaine, c’est que même avec une équipe de professionnels et d’experts, un budget en conséquence et toutes les bonnes intentions du monde, le corps a ses limites. Pour les cyclistes amateurs qui ont de la difficulté à accepter de devoir “jongler” avec des problématiques physiques récurrentes, la solution se trouve à quelque part entre “s’entourer des bonnes personnes”, mais surtout, s’autonomiser dans sa pratique! En d’autres mots :

  • Des 50 heures assises à ton bureau, combien d’entre elles passes-tu les jambes entortillées autour des pattes de chaises ou en flexion plantaire?

    • Combien de “pauses actives” prends-tu dans une journée typique?

  • Pendant tes journées “OFF-Bike”, combien de temps consacres-tu à ton corps, en déliant les tensions musculaires via l’utilisation d’un rouleau ou balles de massage?

  • Combien de séances de renforcement musculaire fais-tu, en moyenne, par semaine?

    • Les exercices et mouvements sont-ils axés sur les besoins du cycliste, ou au contraire, sont-ils nuisibles à la performance?

  • As-tu identifié tes besoins et lacunes, en tant que cycliste récréatif?

    • Pas en mesure de toucher au sol en gardant les jambes tendues?

    • Pas capable d’activer tes fessiers à travers de simples exercices au sol?

    • Ça tire à l’avant des cuisses lorsque tu t’assois sur tes talons?

Le point positif dans tout ça, c’est qu’un vélo à 6000$ (entrée de gamme, en 2021), ça s’achète et se “fit” en moins de 24h. La pilule difficile à avaler, c’est qu’à moins d’avoir hérité des mêmes gènes que Evenepoel, Van Aert ou Van Der Poel, t’es mieux de commencer à t’autonomiser dès aujourd’hui, car t’en auras pour quelques centaines d’heures “hors-selle” avant de pouvoir dire que t’as fait “ta part” dans l’optimisation de ta position sur le vélo! Si tu te sens démotivé parce que ton corps te donne du fil à retorde, t’as juste à penser aux athlètes paralympiques qui pédalent sans la vue, à une jambe ou avec leurs bras et ça va surement t’encourager à faire tes élévations bassins et tes planches latérales demain matin!

Bonne saison!

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